top of page

Amour et cannibale

La jeune châtelaine de Roussillon, était bien malheureuse en amour ; Sieur Raymond d’Avignon n’était qu’un rustre, chasseur enragé de surcroit, qui la délaissait. Oubliant petit à petit son mari, elle finit par tomber sous le charme d’un doux page, un poète aux couplets charmants : Guillaume de Casbestang. Ce dernier, amoureux lui aussi, ne pensait qu’à plaire à sa belle et il la distrayait tout le jour de ses vers gracieux. Las d’un amour platonique, ils finirent par tomber dans les bras l’un de l’autre et devinrent amants.

Roussillon par Valérie d'Andrea

Mais leur romance arriva aux oreilles de Sieur Raymond qui en fut fort jaloux. Ne pouvant supporter un tel déshonneur, il questionna le jeune amant. Pour ne pas trahir son aimée, il répondit qu’il était amoureux ,oui , mais de la belle-sœur de Sieur Raymond, Agnès de Tarascon. N’en croyant pas un mot, Sieur Raymond partit avec le page rencontrer la Dame. Celle-ci, futée, réalisa très vite le danger qu’encourait sa sœur. Agnès conta alors fleurette à Guillaume et le mari jaloux repartit rassuré. Mais ce fut au tour de Dame Sermonde d’être piquée de jalousie envers sa sœur, soit qu’elle ne comprit pas la manœuvre soit par orgueil. Quoiqu’il en soit elle poussa son amant à lui composer des vers d’amour à son nom. Impossible alors de duper sieur Raymond plus longtemps. Fou de rage, il invita le jeune page à la chasse et l’y tua sauvagement à coups de dague. Sa rage n’étant pas encore assouvie, il fit dépecer le cadavre du pauvre poète par son meilleur cuisinier. De la viande, on cuisina une tourte bien alléchante. Pendant ce temps sieur Raymond était reparti à la chasse comme si de rien n’était mais à son retour, il offrit un somptueux banquet à son épouse. Bien que surprise, Dame Sermonde s’en réjouit et s’en régala, ignorant tout de la sordide idée de son mari. Ce n’est qu’à la fin du repas qu'avec un rire diabolique, il lui avoua qu’elle venait de se délecter du corps de son aimé.

Le désespoir envahit la châtelaine et, une fois le choc passé, elle trouva la force de se lever et déclara :

« Voilà un fort bon repas, je n’en ai plus besoin d’autre désormais. »

Elle se traîna ensuite jusqu’aux remparts puis erra jusqu’aux falaises d’où elle se laissa tomber. Les roches alentours se teintèrent alors du rouge de son sang pour l’éternité et une source jaillit de la terre là où son corps s’écrasa. Les habitants de la bourgade de Roussillon construisirent rapidement un puits couvert afin de protéger la dépouille de la colère des maris jaloux car, comme pourra le voir le promeneur avisé, on peut reconnaitre dans le relief alentour le dur visage de sieur Raymond.

Les falaises de Roussillon par Valérie d'Andrea

Après enquête, nos H.P. Marshalls ont remonté les sources grâce aux Archives départementales du Vaucluse et la Bibliothèque Départementale que nous remercions chaudement pour leur aide. Nous n’y avons retrouvé aucune trace du seigneur ni de son épouse. En revanche, nous avons mis la main sur un certain Guilhem de Cabestany, une dame Saurimonde et un sieur Raimon. Ces derniers vécurent à Castell-Rossello (aujourd’hui Château-Roussillon) dans le département de Roussillon à côté de Perpignan. Le jeune page se trouve être le fils d’Arnaud de Cabestany comme l’atteste le testament de ce dernier. Nous avons alors remonté le cheminement de la légende : il ne s’agit là que d’une reprise arrangée par la ville de Roussillon en Vaucluse. En effet, la même légende se retrouve à Château-Roussillon où il y a bien trace de ces seigneurs au XIe siècle. Il n’y a pas de rivière ni de falaise teintées de rouge dans la version de Perpignan, la fin diverge à partir de la mort de la châtelaine :

À l’époque de la courtoisie et des mœurs chevaleresques, un crime si odieux ne pouvait rester impuni. Quoique la jalousie de sir Raimon fût compréhensible, les Seigneurs du Roussillon et de la Cerdagne s’unirent aux parents des deux victimes et ravagèrent les biens et les terres de Raimon. Le roi ’unirent aux parents des deux victimes et ravagèrent les biens et les terres de Raimon. Le roi Alphonse II arrêta lui-même son vassal et l’emmena prisonnier. Il offrit ensuite de magnifiques funérailles à Cabestany et Saurimonde. Ils furent déposés côte à côte dans un même tombeau devant l’une des églises de Perpignan et l’on y grava leur histoire. C’est ainsi que s’instaura une oraison funéraire annuelle en l’honneur des deux amants où les chevaliers et les dames du pays assistaient en grand nombre.

Gravure de Guilheim de Cabestany

Cette légende rattachée ce coup-ci à des noms historiques concrets finit par être acceptée comme véridique. Mais sa forte présence dans la littérature moyenâgeuse nous indiquerait plutôt une sucess story des troubadours de l’époque car on la trouve jusqu’en Picardie avec le Roman du châtelain de Coucy et de la dame de Fayel par exemple. Les erreurs historiques sont aussi légion dans ce récit, car Guilheim de Cabestany combattai encore contre les Maures en 1212 alors que le roi Alphonse II mourut en 1196, ce qui rend impossible son intervention dans cette histoire. Saurimonde signait encore des papiers en 1210 et recevait le fief de Peralada, dans la paroisse de Torrelles cette même année. De même, Raimon de Castell-Rossello qui soit-disant mourut dans les prisons du roi Alphonse II, était encore vivant en 1217 où il signait une trêve au 2 octobre ; son fils lui succéda dans la seigneurie autour de 1233.

Un poème de l’amour courtois devenu légende... Toutefois 7 des poèmes de Guilheim de Casbestany peuvent se trouver à la Bibliothèque Nationale sous la cote 7698 si cela vous intéresse.

Posts à l'affiche
Derniers Posts
Search By Tags
Pas encore de mots-clés.
Follow Us
  • Facebook Classic
  • Twitter Classic
  • Google Classic
bottom of page