Gilitrutt
Dans les fermes du Sud de l'Islande, à l'Est de Reykjavík, au pied de l'Eyjafjöll, là où les pâturages sont bons et les troupeaux nombreux, vivait un jeune marié. C'était un fermier honnête, courageux et travailleur. Mais son épouse était jeune, peu capable car paresseuse : elle rechignait au travail et s'occupait donc peu des travaux de la ferme ou de la maison. Bien sûr leur caractère opposé était une source de conflit entre eux deux, mais le paysan ne pouvait la changer. Mais le Réttir (la transhumance islandaise) se passa, amenant la tonte automnale des moutons. Le jeune homme donna donc une importante quantité de laine à sa femme, lui demandant de la travailler pour en faire de la bure. Celle-ci accepta sans grand enthousiasme, et malgré l'hiver qui avançait, elle ne trouvait aucune motivation à la tâche malgré les plaintes de son mari.
Un jour, une vieille dame aux traits durs et grossiers vint toquer à la porte de la ferme pour demander la charité. La paysanne lui ouvrit et en entendant la requête celle-ci eut une idée ; la charité d'accord mais elle lui rétorqua :
« - Feras-tu quelque chose pour moi en échange ?
- Pourquoi pas, que suis-je sensée faire ?
- Tisser la bure !
- D'accord, donnez-moi la laine, dit la vieille dame. »
La fermière s'empressa de lui donner un énorme sac de laine que la vieille plaça sur son dos.
« - Tu auras ta bure le premier jour de l'été.
- Que désireras-tu recevoir en échange ?
- Oh peu de chose, si vous me donnez mon nom quand je vous l'aurai demandé trois fois nous serons quittes.
- Faisons ainsi, acquiesça la paysanne et la vieille reprit son chemin. »
Le paysan remarqua la disparition de la laine, et il questionnait souvent sa femme à ce sujet, ce à quoi elle rétorquait qu'il s'agissait là de sa tâche, il n'avait donc pas à s'en soucier, la bure serait prête au premier jour de l'été. Il n'appréciait guère la situation mais rien n'y fit...
Le temps passa toutefois et la fin de l'hiver présenta le bout de son nez. Il était temps pour la femme de trouver une solution pour payer la vieille dame : lui donner son nom. Mais elle ne savait comment l'obtenir et l'inquiétude finit par la déprimer. Le paysan remarqua son embarras mais il ne put en connaitre la cause.
Un jour que ce dernier effectuait quelques travaux, il découvrit un monticule de pierre. Tournant autour, absorbé par ses soucis, il entendit des coups provenant d'entre les pierres. Intrigué, il se dirigea au bruit et finit par trouver une fente à travers laquelle il aperçut une femme de grande taille. Cette dernière tissait, un métier entre les jambes qu'elle cognait en passant la trame. Il finit aussi par l'entendre chanter en boucle :
« Ha, ha et ho, ho ! La fermière ne sait pas comment je m’appelle.Ha, ha, et ho, ho ! Je m’appelle Gilitrutt, ha, ha, et ho, ho ! »
Voici que le fermier commençait à comprendre ce qui se déroulait chez lui ! Il nota alors le nom de la troll et n'en dit rien à son épouse. En revanche, il lui fut alors plus facile d'obtenir les aveux de sa femme alors désespérée car il s'agissait là des derniers jours de l'hiver. Elle ne s'habillait même plus et sous le poids des questions de son mari, elle finit par lui dévoiler toute l'histoire. Le paysan s'alarma car il s'agissait certainement là d'une femme troll qui, sans aucun doute, avait l'intention de l'enlever pour la manger. Et à la question sur le nom de la troll supposée, la femme éclata en sanglot, prête à se laissez mourir de chagrin.
« Cela sera inutile, voilà le nom de la vieille dame. »
Il lui tendit le papier et lui raconta ce qu'il avait vu. C'est toute tremblante qu'elle saisit le papier car elle ne pouvait être sûre que ce soit le bon nom. Elle supplia son mari de rester auprès d'elle lorsqu'elle ferait face à la vieille femme. Mais il rejeta sa requête ! Elle seule avait pris cette dangereuse décision, elle seule se devait d'y mettre fin et il s'en alla. Accablée, elle retourna se coucher quand, une fois la ferme vide, la vieille se présenta à elle d'un pas bruyant et dans une forme particulièrement hideuse. Elle déposa violemment le sac de bure aux pieds de la paysanne terrifiée et demanda sans chichi :
« - Alors, comment je m’appelle, comment je m’appelle ?
- Signý ?
- C’est mon nom, c’est mon nom, mais essayez encore !
- Ása ? - C’est mon nom, c’est mon nom, mais essayez encore !
- Tu ne t’appellerais pas Gilitrutt ? »
La troll s'effondra dans un énorme fracas sous le choc de la révélation, elle se releva en chancela et s'enfuit en courant et personne ne la revit depuis... Jamais la fermière ne fut aussi soulagée et heureuse. Après cette expérience, elle changea radicalement, devenant travailleuse et capable ! Mais surtout, surtout, elle tissa toujours sa laine elle-même !