Shigeru Mizuki, le maître des Yôkai
"C'est étrange, la vie... Sans y penser, je me suis passionné pour le dessin et les yôkai... Je n'aurais jamais pensé qu'ils me seraient d'un si grand secours tout au long de ma vie...
Dieux qui n'existez pas... Merci !" NonNonbâ
Les yôkai sont l’âme de l’œuvre de Shigeru Mizuki, de son vrai nom Shigeru Mura. Il est né en 1922 à Sakai-Minato au Sud-Ouest du Japon, c’est une étape importante pour l’auteur car c’est là qu’il s’est construit son imaginaire mais aussi son bagage culturel. C’est là que commence la sauvegarde d’un patrimoine oral menacé, mais aussi la grande force de caractère de l’auteur lors de certains drames dans le courant de sa vie. C’est dans NonNonBâ qu’il romance cette enfance avec l’apparition dans sa vie d’une vieille grand-mère que recueillent ses parents après la mort de son mari (enfin ici la famille s’appelle Muraki pour appuyer le côté romancé). La vieille dame ouvrira les yeux de l’enfant au surnaturel et à partir de là, le jeune garçon croisera de nombreux yôkai,… ou peut-être tout n’est qu’un songe imaginé par un petit garçon rêveur… Même Mizuki n’a pas la réponse à ces questions !
Cette vie paisible se terminera quand il sera enrôlé dans l’armée japonaise en 1942, il y perdra son bras gauche (c’est un gaucher) lors d’un bombardement, il contractera la malaria, puis sera fait prisonnier à Rabaul. C’est à ce moment qu’il se liera d’amitié avec la tribu locale : les Tolai. Il en épousera d’ailleurs l’une des membres et ne rentrera au Japon qu’à contrecœur. Il ne repartira jamais en Nouvelle-Guinée à cause de la conjoncture politique, d’une situation familiale délicate et aussi de sa mauvaise santé. Surmontant les épreuves, en 1950, il apprend à dessiner du bras droit et se fait la main avec les Kamishibai (un théâtre d’images ambulant). Mais ce n’est qu'en 1957 que sort son premier manga Rocketman. Mais très vite, Shigeru Mizuki s’oriente vers ces esprits mythiques du Japon qu’il affectionne tellement et il collabore alors dans le magazine Garo (un magazine avant-gardiste de l’époque). En 1965, il rejoint le Shônen Magazine (l'un des plus importants magazines manga encore aujourd’hui), c’est là où il créera Kitarô Le Repoussant, son personnage phare. Très marqué aussi par la guerre, il n’hésitera pas non plus à dénoncer les tragédies provoquées par le nationalisme japonais à travers des fictions ou même de courts récits autobiographiques. Les deux thèmes chers à Shigeru Mizuki, l'horreur de la guerre et les yôkai, se nourriront l’un l’autre et aboutiront à de nombreux chefs d’œuvres comme Hitler.
Les premières reconnaissances officielles du travail de Mizuki commencent dès 1967 avec des prix nationaux, et depuis elles n'ont jamais cessées même au niveau international avec des prix reçus à titre posthume (l’auteur mourut le 30 novembre 2015). À Rabaul en Papouasie-Nouvelle-Guinée, on donna son nom à une rue après son retour au pays en 2003. Sakaiminato, sa ville natale, s’est dotée de 120 statues de bronze à l’effigie des personnages dessinées par Mizuki dans une avenue baptisée la Route de Shigeru Mizuki et lui consacre un musée.
Shigaru Mizuki a fait en sorte que l’on n’oublie pas les yôkai, ces esprits qui ont jalonné la culture japonaise mais il les a aussi ramenés à la vie car non seulement ses ouvrages sont toujours parmi les meilleures ventes en librairies, mais aussi, plus d’un million de personnes viennent chaque année visiter Sakaiminato et ses créatures fantastiques.
En plus de NonNonBâ, nous vous conseillerons aussi 3, rue des Mystères, un recueil de nouvelles qui fera un bon exemple des différentes facettes des yôkai : funeste, vengeur ou bienveillant. Ces histoires rapprochent hommes et yôkai tout en rappelant les limites à ne pas franchir.
Kitarô, le repoussant a pour héro un yôkai , le dernier d'une espèce aux grands pouvoirs. Il sera élevé dans le monde des hommes avant de partir à l’aventure. Proche des 2 mondes, Kitarô servira d’arbitre et de gardien, autant dire qu’ici l’imagination de l’auteur s’en donne à cœur joie. C’est son œuvre la plus populaire encore aujourd’hui, un aboutissement de son grand projet : redonner vie à un Japon oublié.
Enfin, dans la ligné de Lafacadio Hearn, Shigeru Mizuki releva tous les yôkai du Japon pour écrire son incroyable Dictionnaire des yôkai ! Le travail d’une vie, regroupant toutes ses notes collectées au cours des années et toutes illustrées par ses soins. Nous ne souhaitons pas décrire l'œuvre plus que cela tant il est bon de la découvrir et de se laisser aller vers les portes d’un autre monde.
Pour en savoir un peu plus sur Shigeru Mizuki vous pouvez toujours aller sur une vidéo ICI.