Il était trois petits enfants
Qui s’en allaient glaner aux champs.
S’en vont au soir chez un boucher.
« Boucher, voudrais-tu nous loger ?
Entrez, entrez, petits enfants,
Il y a de la place assurément. »
Ils n’étaient pas sitôt entrés,
Que le boucher les a tués,
Les a coupés en petits morceaux,
Mis au saloir comme pourceaux.
Saint Nicolas au bout d’sept ans,
Saint Nicolas vint dans ce champ.
Il s’en alla chez le boucher :
Boucher, voudrais-tu me loger ? »
Entrez, entrez, Saint Nicolas,
Il y a d’la place, il n’en manque pas. »
Il n’était pas sitôt entré,
Qu’il a demandé à souper.
« Voulez-vous un morceau d’jambon ?
Je n’en veux pas, il n’est pas bon.
Voulez-vous un morceau de veau ?
Je n’en veux pas il n’est pas beau !
Du p’tit salé je veux avoir,
Qu’il y a sept ans qu’est dans l’saloir,
Quand le bouche entendit cela,
Hors de sa porte il s’enfuya.
« Boucher, boucher, ne t’enfuis pas,
Repens-toi, Dieu te pardonn’ra. »
Saint Nicolas pose trois doigts
Dessus le bord de ce saloir :
Le premier dit : « J’ai bien dormi !
Le second dit : « Et moi aussi ! »
Et le troisième répondit :
« Je croyais être au paradis ! »
Gérard de Nerval, 1842
Saint Nicolas. Un fameux Saint Patron
Les célébrations réservées au Saint marquent le début des fêtes de Noël dans plusieurs régions d’Europe : le Nord-est de la France, la Belgique, l’Allemagne, l’Autriche ou encore les Pays-Bas. Cet évêque est le prédécesseur du Père Noël et c’est aussi celui qui l’a inspiré. On pourrait croire que les deux personnages se font concurrence mais la célébrité du dernier n’a pas nui à la notoriété du premier.
Origine
De nombreuses zones d’ombre cachent la réelle biographie de Saint Nicolas et, très tôt, les faits supposés vrais ont finis par se mélanger à la légende.
L’homme naquit vers 260 à Patare, un port antique de Lycie (actuelle Turquie), dans une riche famille chrétienne et il a pour oncle l’évêque de Myre. Très pratiquants, ses parents Epiphane et Jeanne baptisèrent l’enfant rapidement et furent témoins d’un premier miracle. Le nourrisson se dressa sur ses 2 jambes, se tenant bien droit en signe de respect envers Dieu pendant la messe. Dès lors, la piété de leur chérubin fut exemplaire, c’était par ailleurs un élève particulièrement assidu au cours de Méthode, l’évêque de Patare en ce temps là. Très tôt, les parents de Nicolas décèdent des suites d’une épidémie de peste, il est âgé de 8 ans (d’autre sources avancent 20 ans) et hérite alors d’une grande fortune.
Autour de lui la guerre civile éclate et la misère est partout. La paix ramenée par Dioclétien en 285, n’arrêtera pas la famine. En voyant son voisin prostituer ses 3 filles malgré lui, Nicolas décide d’utiliser son héritage pour aider son prochain et lui donne une dot suffisamment conséquente offrant ainsi la possibilité aux jeunes filles de trouver un bon parti.
Vers 300 l’oncle de Saint Nicolas, évêque de Myre, trépasse et le concile se réunit pour élire un nouvel évêque. Mais Dieu apparu la nuit avant le vote, ordonnant aux prêtres de choisir le premier Nicolas qui passera par la porte. Il s’agissait bien sûr de notre Saint Nicolas, les prêtres le connaissaient-il ? Là encore les sources divergent, certaines précisent que Saint Nicolas avait déjà été ordonné prêtre à l’âge de 19 ans tandis que d’autres affirment qu’il ne l’a jamais été. Il entra alors dans le jeu de la politique et il commença son office sous la gérance du gouverneur Licinus, un païen qui s’afficha comme protecteur de sa population chrétienne. Mais ce fut de courte durée car dès 304 Dioclétien et son successeur Galère commencent une chasse aux chrétiens qui durera jusqu’en 311. Cette année là, les troupes de Maximin Daïa, gouverneur d’Égypte, arrivent en Lycie en vue d’un coup d’état, il n’y a alors plus aucune pitié envers les chrétiens qui sont alors emprisonnés et persécutés dans la région. Saint Nicolas y perdra sont précepteur Méthode. C’est lors de la victoire de Constantin Ier que les chrétiens et Nicolas seront enfin libérés.
Nicolas sera dès lors très investi par sa mission : distribuant sa fortune aux nécessiteux, il prendra la défense de plusieurs personnes accusées injustement et les sauvera à coup de plaidoiries. Son éloquence le fit gagner de plusieurs négociations comme celle de sacs de blés avec des marchands d’Alexandrie pour sauver la population de Myre de la famine, ou encore une baisse d’impôt de l’empereur Constantin Ier en personne. Il sera aussi très actif dans la défense de la chrétienté, s’opposant à l’arianisme et le paganisme.
Il s’éteint le 06 décembre certainement de l’année 335 et est enterré dans l’église Saint-Nicolas de Myre.
Un Saint Patron
C’est de par les miracles et les légendes qui lui sont attribués que l’évêque Nicolas devint un Saint Patron car ils ont fait de lui un protecteur des enfants en danger :
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Implorer le Saint aurait sauvé un enfant oublié dans un baquet sur le feu.
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La possession d’une offrande à Saint Nicolas sauva un enfant de la noyade.
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Des enfants kidnappés sont revenus à leurs parents le jour de la Saint Nicolas.
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L’évêque aurait ressuscité un enfant étranglé par le Diable.
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Enfin la légende la plus connue est celle ses trois enfants et du boucher (texte ci-dessus).
La première mention de ce dernier miracle est en latin, dans une hagiographie du IXe siècle, mais il nous parle d’un marchand tué par un aubergiste. Ce n’est que 2 siècles plus tard que la victime devient plurielle en étant remplacée par trois clercs. Un groupe social alors en pleine effervescence au cours du XIe siècle qui se déplace d’un centre universitaire à un autre. Cette évolution du miracle s’implante rapidement dans la piété populaire grâce à une tradition orale (les manuscrits d’Hildesheim, de Fleury et d’Einsieden écrits au XIIe siècle le relatent). C’est aussi à cette époque que les églises se parent de représentations du miracle et qu’il se fait connaitre en France grâce à R. Wace.
Ce n’est que vers la fin du siècle que les clercs deviennent 3 étudiants de bonne famille dans le Sermons de Bonaventure et au XIIIe que l’aubergiste devient un boucher comme dans le manuscrit manuscrit ms 17229 de la BNF. Dans les textes antérieurs l’assassin apparaissait sous le nom de carnifex, traduisible par bourreau, meurtrier et bien sûr boucher. De même, on ne parlait alors pas encore de saloir et l’on trouvait parfois sa femme complice du meurtre. Elle s’efface peu à peu pour disparaître complètement à partir du XIVe siècle. Parallèlement les clercs aussi continuent leur retrait laissant de plus en plus de place aux 3 enfants qui s’installent définitivement au XVe siècle. Ils deviennent alors, tout comme le saloir, un incontournable de l’imagerie de Saint Nicolas. Le succès de cette version viendrait avant tout de sa symbolique d’après les chercheurs (L.Réau) : les enfants sortent des ténèbres de la cuve vers la lumière de Dieu tel un baptême. C’est à partir de là que le miracle prend sont autonomie et continue son évolution grâce au cantique parmi la population : l’ajout du délai de 7 ans entre le crime et le passage de Saint Nicolas (un chiffre important dans la Bible mais irréel pour la consommation de viande), le crime n’a plus pour motif un vol mais du cannibalisme.
Les autres patronages
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le Saint Patron des marins et des navigateurs
Il prend officiellement ce rôle en 1254 quand Saint Louis échappe à un naufrage au large de Chypre grâce à Saint Nicolas qui intervient pour calmer une tempête. Ce fut la reine qui le pria avec ferveur pour sauver le navire sous les conseils de Jehan de Joinville, sénéchal de France. Ce dernier recommanda de faire appel au Saint car celui-ci avait déjà la réputation de protéger les marins et les voyageurs suite à d’autres miracles de ce type recensés. Les navigateurs avaient déjà pris l’habitude de l’invoquer pour les aider à manœuvrer et calmer les eaux.
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Le Saint Patron des jeunes filles
Ce patronage lui vient directement de son premier geste de bonté, lorsque qu’il aida les filles de son voisin à sortir de la prostitution. La population se mit alors à l’invoquer lorsque la vertu d’une jeune fille est mise en danger. On peut voir une référence à cette croyance dans une légende bretonne retranscrite dans Mémoire d’Outre-tombe de Chateaubriand : Récit véritable d’une cane sauvage, en la ville de Montfort−la−Cane−lez−Saint−Malo (à lire ici, page 118, 1 L 5 Chapitre 4)
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Le Saint Patron des célibataires
Ici il ne s’agit pas d’un miracle recensé mais d’une légende. Il est dit qu’une jeune femme désespérée car elle ne trouvait pas d’époux acquit une statuette de l’évêque qu’elle se mit à prier chaque jours. Les mois passèrent et face à la futilité de ses efforts, elle entre dans une grande fureur et propulsa la statuette par la fenêtre. C’est alors qu’un beau jeune homme frappa à sa porte, il venait de recevoir l’objet sur la tête et venait demander réparation. Mais à force de discussion, ils tombèrent sous le charme l’un de l’autre et s’épousèrent.
Depuis on prétend que dans la nuit du 5 au 6 décembre, une jeune fille peut saisir l’occasion de voir en rêve celui qui sera son futur mari.
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Le Saint Patron des prisonniers
Là encore s’est un patronage issu de la vie de l’évêque et de ses années de prison et sa protection est sollicité et reconnu depuis le XIIIe siècle. Il ne devint officiel qu’en 1244 lorsque le Sir Cunon de Rechicourt l’implora pour être délivré des geôles musulmanes.
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Le Saint Patron des avocats
Dernier patronage lié à la vie du Saint qui à longuement prêché en faveur des innocents et sauva ainsi la vie à de nombreuses personnes.
De Saint Patron de la Lorraine au Père Noël
En Lorraine, son culte commença vers le XIe siècle, avec l’arrivée d’une Sainte relique à Saint-Nicolas-de-Port : la phalange de Saint Nicolas. Il s’amplifiera lorsque Jeanne d’Arc rendra visite au reliquaire en février 1429 et suite à différents miracles attribués au Saint. Il prendra de plus en plus d’importance jusqu’à sa nomination comme Père protecteur du pays en 1477 par René II, duc de Lorraine. Ce fut sa manière de remercier le Saint qu’il avait tant prié la veille d’une bataille dont il sorti finalement victorieux. Pour comprendre l’importance de la bonté de Saint Nicolas dans l’esprit de la population, il faut savoir qu’entre 1600 et 1670, 575 miracles ont été recensés par l’Église en Lorraine dont 173 attribués à Saint Nicolas. Il dépasse dès lors le domaine de protection des enfants et devient le réel bienfaiteur de la région. Ce sont alors 65 paroisses dans toute la Lorraine qui se placent sous sa protection (23 en Moselle, 16 en Meuse, 12 dans les Vosges et 14 en Meurthe).
Comme tous les cultes religieux, celui de la Saint Nicolas fut fortement touché par la Réforme protestante au XVIe siècle, celle-ci interdisant le culte des Saints. C’est donc le Christkindel (un jeune garçon au visage fin et vêtu de blanc) qui prend en charge la distribution des cadeaux aux enfants. Mais l’Alsace, la Lorraine et la Flandres ne détrône pas Saint Nicolas et réussissent une cohabition avec ce nouveau personnage. En revanche, la Révolution Française porte gros coup au culte du Saint, avec par exemple la fonte des reliques et l’interdiction de toutes célébrations. Celle-ci fut toutefois restaurée par l’abbé Claude Masson vers le milieu du XIXe siècle mais pas sans modifications :
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le culte des reliques du 9 mai est jumelé à la préparation des moissons et célébré par l’office à la cathédrale de Metz jusqu’en 1888 ;
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à l’inverse, le culte devient de plus en plus populaire, devenant de moins en moins religieux et de plus en plus enfantin faisant du 6 décembre le jour officiel de la distribution de cadeaux aux enfants ;
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au XXe siècle se mettent en place le défilé de la Saint Nicolas puis le feu d’artifice.
Petit à petit, un autre concurrent apparaît alors qu’il est lui-même un descendant du culte de Saint Nicolas : le père Noël. Ce sont les immigrés hollandais qui, au XVIIe siècle, transportent le culte de Sinter Klaas dans le Nouveau-Monde, un nom qui devient petit à petit Santa Claus. Lorsque les États-Unis rejettent la colonisation anglaise et ses fêtes officielles, la New York Historical Society déclare Saint Nicolas patron de ladite société et aussi de la ville de New York. Le premier dîner de la Saint Nicolas a lieu le 6 décembre 1810, soit un an après que l’écrivain Washington Irvin mit sur papier la légende de la fondation de la ville de New York (Histoire de la ville de New York par Diedrich Knickerbocker) :
Saint Protecteur des marins, Saint Nicolas, était l’effigie prônant à l’avant des navires des colons hollandais afin d’échapper aux dangers de la mer. Malgré tout, l’un des bateaux fit tout de même naufrage, mais le Saint leur apparu prévenant l’un des marins, Oloffe van Kortlandt, du danger. Il lui fit ensuite promettre de fonder sa colonie sur l’île de Mana-Hattan. En échangede quoi, le Saint lui apportera protection et des cadeaux chaque année aux enfants de la future ville. C’est donc en toute logique que les colons arrivés à bon port choisir Saint Nicolas comme protecteur de la Nouvelle-Amsterdam qui eut le fils d’Oloffe comme premier maire.
Le pasteur Clément Clarke Moore écrivit, en 1823, un poème dans lequel Santa Klaus ne vient non plus le 6 décembre, mais le 24. Il remplace aussi son âne par un traîneau tiré par huit rennes, lui donne l’apparence d’un lutin à la barbe blanche et la panse bien remplie, avec un costume vert cintré par une large ceinture de cuir et rembourré de fourrure blanche. C’est de ce texte que, en 1863, Tomas Nash tirera son fameux dessin de Santa Claus, lui donnant son apparence définitive. On établira par la suite la résidence officielle du Père Noël au Pôle Nord, et c’est à ce moment que, par le biais de la Première Guerre mondiale, le descendant de Saint Nicolas arrive en Europe.
Nous vous invitons à en savoir plus sur les festivités de la Saint Nicolas dans nos articles EnQuête de Rite, Ici.
Et si vous souhaitez plus d'information sur le Saint vous pouvez toujours contacter Les Amis de Saint Nicolas en Lorraine, Les Amis de Saint Nicolas de Thionville ou La Confrérie de Saint Nicolas de Yutz.